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Nadège Godfroy

Consultante agro-environnement Optival, diplômée de l'Ecole Nationale Supérieure d'Agronomie et des Industries Alimentaires (ENSAIA).

 

Bonjour Madame Godfroy,

Je vous remercie d’avoir accepté de répondre à nos questions. Nous allons aborder ensemble le thème de l’agriculture en France et les nombreux défis auxquels elle doit faire face.

  • Mais dans un premier temps, pourriez-vous nous expliquer en quoi consistent les missions de la coopérative Optival dans laquelle vous êtes consultante agro-environnement depuis plus de 8 ans maintenant  ?

Seenorest est l’alliance de deux coopératives : Optival (départements 54-55-88) et Oxygen (départements 62). Nous sommes des organismes d’indicateurs de pilotages et de conseil en élevages. Nous accompagnons les éleveurs au quotidien pour suivre leurs troupeaux et optimiser leurs résultats techniques, économiques et environnementaux.

 

  • Toutes ces années passées au cœur de l’agro-environnement vous ont conféré un grande connaissance du monde agricole français, ce qui m’amène naturellement à ma première question : comment se porte l’agriculture en France ?

C’est une question à laquelle il est difficile de répondre sans faire de généralités. La situation est très différente selon les régions, les filières et les modes de production. Globalement, l’agriculture est à un tournant dans son histoire. Les demandes ne sont plus les mêmes que celles de l’après-guerre : nous sommes dans un contexte de profonds changements. La volonté n’est plus de produire plus mais mieux.

 

  • 400 000 agriculteurs en France aujourd’hui, c’est 4 fois moins qu’il y a 40 ans. La filière n’attire plus les jeunes ni les femmes ? Etes vous inquiète de cette tendance ?

Effectivement, il y a moins d’agriculteurs, mais les exploitations se sont agrandies. Il y a 40 ans, l’agriculture était encore très familiale : des fermes de petites tailles, la famille complète qui y travaillait. Aujourd’hui, les structures agricoles se sont agrandies et les technologies font que l’on arrive à produire autant (voire plus) qu’avant, avec moins de main d’œuvre. En revanche, une grosse proportion d’agriculteurs va arriver à la retraite d’ici 5-6 ans, et nous craignons effectivement un manque de renouvellement.

 

  • On demande aujourd’hui aux agriculteurs d’être de véritables acteurs du développement durable. En plus de cela, il leur faut être productifs, compétitifs, rentables. Dans le même temps, ils affrontent des aléas climatiques de plus en plus difficiles. Vous êtes à leur contact quotidiennement, comment font-ils pour supporter toute cette pression et ces contraintes ?

Les aléas climatiques qui s’enchainent depuis 5 ans exacerbent les tensions sur les exploitations agricoles : pertes de rendements sur les cultures de vente, pénuries de fourrages… Malheureusement, il faudra faire avec : c’est une conséquence directe du changement climatique. Cela fait des décennies que les scientifiques tirent la sonnette d’alarme. Nous y voilà… Nous accompagnons les agriculteurs sur les deux facettes : adaptation au changement climatique, pour rendre plus résilients leurs systèmes, et atténuation du changement climatique, pour réduire l’impact environnemental de leurs exploitations. Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est que l’optimisation technique des pratiques agricoles va de paire avec une meilleure valorisation économique et également un moindre impact environnemental. Le développement durable en agriculture, ce n’est pas une contrainte : c’est un tout qui contribue à différentes échelles à pérenniser les exploitations.

 

  • L’agriculture traditionnelle telle que nous l’avons connue pendant des décennies laisse la place à une agriculture moderne, fortement mécanisée, très régulée par les pouvoirs publics et organismes professionnels ; une agriculture qui doit mener, comme beaucoup d’autres secteurs d’activité, sa transition écologique. Pensez vous que les divers plans de relance comme par exemple les aides au renouvellement des agro-équipements,  et les politiques environnementales menés par le gouvernement sont suffisantes ?

La transition que l’on demande à l’agriculture doit être rapide. Certains dommages sur l’environnement, notamment le changement climatique (dont l’agriculture n’est pas l’unique responsable !), doivent être limités très urgemment, avant qu’ils ne deviennent irréversibles. Dans cette situation d’urgence, les aides sont indispensables pour accélérer le changement, l’accompagner et le pérenniser. A mon avis, les aides ne doivent être qu’une perfusion instantanée pour déclencher la transition et aider à passer le cap.

 

  • Toutes les exploitations agricoles sont – elles éligibles aux différentes aides ?

Les attributions des aides sont des processus complexes. Selon le type d’investissement visé, les aides sont différentes et les conditions d’éligibilité également. Globalement, quel que soit le type d’exploitation, des aides peuvent être sollicitées. Leur montant dépendra des projets…

 

  • Nous savons que bon nombre d’agriculteurs sont, aujourd’hui, dans des situations économiques et financières très précaires et les drames personnels alimentent régulièrement les faits divers. Que faudrait-il faire, selon vous, pour apporter des solutions à ces situations dramatiques ? La grande distribution, qui pèse lourd en France, porte-t-elle une part de responsabilité en imposant des conditions commerciales inacceptables ? Le gouvernement devrait-il légiférer plus fermement en la matière ?

Je ne suis pas une professionnelle de la législation : je ne sais pas jusqu’où l’Etat peut et doit intervenir concrètement pour fixer des tarifs. Quoi qu’il en soit, on s’aperçoit qu’il y a un problème quelque part dans le système. Malgré les aides qu’ils touchent, un certain nombre d’agriculteurs ne se paient pas à hauteur des heures de travail effectuées. C’est quand même, à ma connaissance, le seul secteur d’activité qui ne décide pas lui-même du prix auquel il va vendre ses produits. C’est assez particulier… Une refonte totale du système serait nécessaire mais cela prendra du temps. En attendant, le consommateur, en choisissant certains produits plutôt que d’autres, a un véritable poids sur la filière. C’est nous, individuellement, qui pouvons accélérer le changement, via nos actes de consommations, pour que les produits et les producteurs soient rémunérés à leur juste valeur.

 

  • L’agriculture est depuis longtemps accusée de polluer, les sols, l’air, l’eau, d’être fortement émettrice de gaz à effet de serre. Comment est-il possible, selon vous de changer cette image ? Pouvons-nous construire une agro-écologie pérenne et efficace dépourvue d’intrants néfastes ou autres dérivés phytopharmaceutiques ?

Comme tous les secteurs d’activité, non ? Aucune activité humaine n’est neutre environnementalement… L’agriculture a un défaut historique : nous sommes de très mauvais communicants. Et comme la Nature n’aime pas le vide, nous laissons la place à des détracteurs très virulents. Oui, une agriculture plus écologique est possible (et d’ailleurs en train d’essaimer partout en France), mais nous devons également reconnaitre toutes les externalités positives de la filière qui existent déjà, mais qu’on a prises pour acquises. Qui entretient les haies dans le bocage normand ? Qui maintient un paysage ouvert dans le massif vosgien ? Qui valorise les prairies d’Auvergne ? Et là, je ne parle que de choses visibles. Nous pouvons également évoquer le stockage de carbone ou la filtration de l’eau qu’assurent les prairies, elles-mêmes maintenues par l’agriculture.

 

  • La déforestation est un sujet prégnant de nos jours. Dans un de nos articles, nous nous demandions si nous ne marchions pas sur la tête en matière de commerce du bois en France mais aussi dans le monde. Des pans entiers des forêts françaises sont décimés pour alimenter le commerce du bois et dans le même temps, l’agro-foresterie est fortement encouragée par les pouvoirs publics qui exhortent les agriculteurs à la réalisation de projets agroforestiers afin de lutter contre le dérèglement climatique, améliorer la qualité des sols, limiter leur érosion et ainsi augmenter les rendements des récoltes tout en rendant l'agriculture plus durable.. Ca ne vous parait pas un peu schizophrénique tout ca ? La gestion du bois et des forêts en France vous semble-elle cohérente ?

Je n’ai aucune compétence sur la gestion du bois et des forêts, je ne peux pas répondre à cette question. Désolée !

 

  • S’agissant du bio, il parait difficile désormais pour un agriculteur d’échapper à cette tendance qui connait un grand succès et qui se développe à peu prés partout. Diriez-vous que le bio représente un relai de croissance solide et suffisamment rentable pour les agriculteurs ou qu’il entraine, au contraire, trop de contraintes et de charges supplémentaires ?

L’agriculture biologique est effectivement en plein essor. Pourquoi ? Car elle répond à plusieurs problématiques. Elle répond à une demande des consommateurs qui cherchent des produits élaborés dans le respect d’un cahier des charges. Elle répond à une philosophie d’agriculteurs qui souhaitent travailler autrement, avec des pratiques plus proches des cycles naturels. Elle répond également à un besoin de meilleure valorisation économique pour la filière agricole. La conversion à la bio a explosé ces dernières années. Environnementalement, je vois cela d’un bon œil : appréhender autrement son système agricole, boucler les cycles de productions (lien animal – végétal – sol) et reprendre une part décisionnelle (les agriculteurs bios sont généralement plus autonomes que leurs homologues en agriculture conventionnelle). Economiquement, je m’interroge sur l’avenir de ce label. Il faut absolument que la filière bio reste maitresse de son avenir et évite de tomber dans le même piège que la filière conventionnelle. Ces contraintes supplémentaires doivent rester rémunératrices pour les producteurs. Si les producteurs restent unis, ils arriveront à défendre leurs valeurs et la valeur ajoutée de leurs produits. C’est peut-être une réponse à votre question précédente, sur la situation économique des agriculteurs.

 

  • Quel regard portez-vous sur la PAC ?

La PAC est LE levier à actionner pour orienter les investissements et soutenir les systèmes de production que l’on souhaite voir se développer dans les années à venir. C’est elle qui dessine les filières et les exploitations. Pour moi, elle est responsable du paysage agricole d’aujourd’hui. Les exploitations agricoles se sont adaptées pour répondre aux enjeux des décennies passées. J’ose espérer que la nouvelle PAC donnera l’élan nécessaire pour accompagner les changements structurels qui attendent la filière pour les décennies à venir.

 

  • La création du marché commun européen a-t-il été bénéfique à l’agriculture française ?

Je n’ai pas vraiment de recul sur cette question…

 

  • Sortons un peu de nos frontières si vous le voulez bien. Comment se porte l’agriculture chez nos voisins ? Dans le cadre de votre travail, j’imagine que vous restez attentive à ce qui se fait ailleurs. Existe-t-il dans le monde un pays qui a mis en place un modèle agricole efficace et exemplaire qui pourrait servir de référence ?

Ca serait trop simple si on pouvait décalquer un système ! Chaque pays a ses atouts et ses contraintes pédoclimatiques, sociétales et foncières. Nous pouvons nous inspirer de ce qui se fait ailleurs, mais nous ne pourrons jamais le mettre en place chez nous tel quel. Un exemple simple mais parlant : l’Irlande et ses vertes prairies, c’est super pour produire du lait et de la viande à l’herbe, mais difficile à adapter dans l’Aveyron séchant… Les réseaux d’échanges, aussi bien pour les techniciens que pour les agriculteurs, restent la méthode la plus efficace pour s’inspirer de ce qui se fait ailleurs. Tout en gardant à l’esprit que l’herbe n’est pas plus verte chez son voisin ! (sauf s’il pleut souvent) Plus sérieusement, les systèmes agricoles français restent plutôt respectueux de l’environnement, comparés aux feed-lots américains ou aux champs de soja OGM brésiliens. Certes, on peut s’améliorer, mais il ne faut par renier le travail qui a été mené depuis des années.

 

  • Un dernier sujet, et non des moindre. En 2050, la population mondiale devrait atteindre 10 milliards d’êtres humains. La question qui vient immédiatement est de savoir comment l’agriculture pourra nourrir le vivant ? Et par vivant, j’entends bien sur les personnes mais également les bêtes. Les défis écologiques seront encore plus élevés qu’aujourd’hui.

C’est un véritable enjeu, mais est-ce qu’il se joue réellement à l’échelle mondiale ? Du côté occidental, nous allons devoir effectivement changer nos habitudes de consommation. Nous mangeons trop, trop gras, trop sucré, trop salé… Et cela impacte forcément l’environnement. Et d’un autre côté, certains pays sont en pénuries de denrées alimentaires. A mon avis, il faut s’ôter de la tête que la viande et le lait français serviront à nourrir le monde. Les prix de nos produits sont très bas car fortement subventionnés. Ils se retrouvent donc moins chers que des produits locaux en Afrique (par exemple), ce qui tue l’agriculture locale. Ce système là contribue à limiter le développement agricole de ces pays et, par effet ricochet, l’agriculture qui veut nourrir le monde entraine des famines localisées. Nous avons fait beaucoup de mal à vouloir bien faire. Un autre levier majeur à actionner : limiter le gaspillage alimentaire. Quand on sait qu’un tiers des denrées alimentaires produites ne seront jamais consommées, ça laisse songeur…

 

  • Comment nourrir et réparer en même temps ? comment exploiter et préserver en même temps ? Sera-t-il possible de concilier tout cela sans avoir recours à une agriculture intensive par essence destructrice ?

Oui j’y crois ! C’est un véritable défi à relever, mais il est possible. Certaines exploitations ont déjà entamé depuis des dizaines d’années leur transition écologique (et économique !). Elles sont des pionnières dans leur domaine et servent d’exemple à d’autres. Une transition profonde ne se fait pas du jour au lendemain. Beaucoup d’agriculteurs sont en train de changer leurs modes de production, mais ils travaillent avec la Nature et le changement prend du temps.

 

Je suis arrivé au terme de notre interview, Madame Godfroy. Peut être souhaitez vous rajouter quelque chose ?

J’invite les agriculteurs à ouvrir leurs fermes au grand public, pour montrer leur métier et les pratiques qu’ils adoptent au quotidien. J’invite également les consommateurs à rester ouverts et dans l’échange avec ceux qui remplissent leurs assiettes. Nous avons tous beaucoup à gagner à discuter ensemble !

Nous vous remercions du temps que vous nous avez accordé et d’avoir fait profité nos lecteurs de votre expertise. La France est un pays historiquement agricole et chaque français a un lien particulier avec l’agriculture et reste profondément attaché au monde paysan.


 

Publié le 18/05/2021 10:47

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