Fruit d'un travail de plus de 6 mois d'analyse juridique et politique, de rencontres avec les experts et les institutions de Guyane et d'observations des avancées du mouvement pour les droits de la nature ailleurs dans le monde, l'association Wild Legal est heureuse de publier son Livre blanc pour les droits des fleuves et des peuples de Guyane. Ce document vous présente les pistes dont nous disposons pour faire respecter les droits des écosystèmes aquatiques impactés par l'orpaillage illégal et associer les peuples autochtones et tous les habitants de Guyane en tant que Gardiennes et Gardiens de cet héritage commun.
Ce travail est le fruit de la collaboration avec l'association Maiouri Nature Guyane et de l'Organisation des Nations Autochtones de Guyane avec le soutien d'Alexis Tiouka, juriste international spécialiste des droits des peuples autochtones, de Jean Pierre Havard, fondateur de l'association Solidarité Guyane et de tant d'autres personnes engagées pour la protection du territoire amazonien et de ses habitants. Nous tenons à les remercier pour leur engagement.
Quelle est la situation ?
Depuis près de 30 ans, l’or présent dans le sous-sol guyanais attire les convoitises de milliers de garimpeiros, ces chercheurs d’or brésiliens venus en Guyane dans l’espoir d’y faire fortune. Avec plus de 500 sites d’extraction (dont 150 dans le cœur du Parc amazonien de Guyane) et près de 8600 travailleurs[1], l’orpaillage illégal a aujourd’hui de lourdes répercussions sur la santé des écosystèmes et des communautés humaines de Guyane.
Outre les déforestations localisées et le braconnage qu’impliquent la création et le maintien d’un site d’extraction illégal, l’usage du mercure a un impact grave sur les cours d’eau. Ce métal lourd a en effet la propriété d'amalgamer l’or et il est utilisé massivement par les garimpeiros pour isoler le métal précieux des boues sédimentaires. Naturellement présent dans les sols de Guyane, ce mercure est relâché en aval des sites d’orpaillage, par l’effet de la destruction des cours d’eau et les rejets du traitement de l’or, polluant massivement les rivières et les fleuves. Remontant l’ensemble de la chaîne alimentaire, il intoxique les poissons comme ceux qui les consomment. Les peuples autochtones qui vivent le long des fleuves guyanais, parfois très près de sites d’orpaillage, et dont l’alimentation repose traditionnellement sur la pêche, sont ainsi particulièrement exposés à la pollution mercurielle. En raison de cette exposition directe, les riverains du fleuve présentent dans leur organisme des concentrations de mercure quatre fois plus élevées que chez les populations du littoral[2]. Or cette exposition est dangereuse pour la santé : elle peut entraîner des malformations néonatales, des troubles de l’équilibre, une diminution de l’acuité auditive, un rétrécissement du champ visuel et bien d’autres maladies.
Malgré les 500 militaires et les 70 millions d’euros que l’Etat mobilise chaque année pour lutter contre l’orpaillage illégal, le nombre de sites d’extraction illégale ne diminue toujours pas[3]. Ce constat d’échec, ainsi que la gravité de la situation, impose un véritable changement de paradigme. Il est aujourd’hui temps d’élaborer de nouveaux outils capables de défendre les droits des peuples du fleuve et des écosystèmes amazoniens.
Le procès-simulé de Wild Legal En partenariat avec Maiouri Nature Guyane, l’Organisation des Nations Autochtones de Guyane (ONAG) l'Association des Victimes du Mercure (ADVM) et le collectif Or de Question), Wild Legal a organisé entre 2019 et 2020 un procès-simulé en défense des droits de l’Amazonie face à l’orpaillage illégal.
Au sein d’un tribunal administratif fictif, Wild Legal a présenté les tenants et les aboutissants d’un recours en carence fautive mené contre l’Etat français. Centré sur les préjudices subis par le Peuple Wayana et par le fleuve Maroni, les plaidoiries de l’audience publique finale [4] ont vu s’opposer les argumentaires juridiques des parties. Elles ont permis d'imaginer de nouveaux outils de lutte, pour défendre les droits des Peuples autochtones et du Maroni.
Les recours contentieux envisageables
Malgré une précédente tentative infructueuse portée par l’ONAG, la possibilité de faire condamner l’Etat au niveau national reste encore aujourd’hui d’actualité. Les préjudices individuels, collectifs et écologiques subis par les Peuples autochtones et les autres habitants de Guyane n’ont pas cessé et nombre de leurs droits continuent d’être lésés par l’insuffisance de l’action étatique. Les tribunaux administratifs saisis ne se sont jamais prononcés sur le fond de l’affaire, rejetant les demandes de l’association pour des motifs de forme. Il est ainsi tout à fait envisageable d’intenter un nouveau recours en carence fautive contre l’Etat devant le tribunal administratif de Cayenne.
De part cette carence fautive, la France contrevient par ailleurs un certain nombre de ses engagements internationaux. Nombre des droits reconnus par le Pacte international sur les droits civils et politiques, par le Pacte international sur les droits économiques sociaux et culturels ou encore par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont en effet quotidiennement violés du fait de l’orpaillage illégal. L’Etat français s’expose de ce fait à plusieurs recours contentieux au niveau international, notamment devant les instances européennes (Cour européenne des droits de l’Homme) et onusiennes (Conseil des droits de l’Homme et Comité des droits de l'Homme).
Les pistes de scénarios non-contentieux
Le droit français porte déjà en lui les graines de la reconnaissance de droits à des écosystèmes que l’association Wild Legal souhaite faire valoir pour trouver une évolution positive à cette crise, par le biais de la création de nouveaux outils légaux et de nouvelles institutions. Wild Legal a étudié différents scénarios de réforme qui permettraient, s’ils sont soutenus par une réelle volonté politique, d’assurer une meilleure défense des droits des Peuples autochtones et des droits du Maroni. Il serait donc opportun d’organiser un dialogue avec l’ensemble des habitants du territoire pour faire émerger un modèle de gouvernance adapté aux volontés des peuples du fleuve.
1. La rénovation du Conseil transnational du fleuve Maroni.
Les conclusions du rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur la lutte contre l’orpaillage illégal laisse envisager la création, à court ou moyen terme, d’une institution pleinement dédiée à une gestion internationale et concertée du fleuve Maroni. Le rapporteur du texte, Gabriel Serville, y appelle en effet à l'élaboration d’un statut international pour le fleuve qui associerait les peuples amérindiens et les bushinengués à sa gestion quotidienne[5].
Le “conseil du fleuve” aujourd’hui en place pourrait ainsi être remplacé par un nouveau conseil doté d’une compétence de tutelle pour les gardien.nes désignés des droits du Maroni et des Peuples riverains. L’accord international qui organiserait ce conseil pourrait en effet reconnaître des droits au fleuve et intégrer les populations locales à son fonctionnement.
De par ses compétences en matière de coopération régionale, la Collectivité territoriale de Guyane (CTG) pourrait être à l’initiative d’une telle réforme. Cela pourrait également s'appliquer au fleuve Oyapock.
2. La réforme du Parc amazonien de Guyane
Dès sa création en 2007, le Parc amazonien de Guyane (PAG) a été le fruit d’innovations institutionnelles importantes, notamment pour prendre en considération les villages amérindiens et bushinengués qui préexistaient sur son territoire. Il pourrait ainsi porter de nouvelles innovations demain et devenir l’institution dépositaire de la défense des droits du Maroni et, plus globalement, des écosystèmes amazoniens.
Une reconnaissance des droits du Maroni pourrait être inscrite dans la nouvelle charte du Parc, qui devrait être adoptée entre 2023 et 2025. Cette nouvelle charte pourrait également élargir les compétences du comité de vie locale, institué en gardien des droits reconnus au fleuve.
3. L’évolution statutaire de la Guyane
En discussion depuis des années, le statut de la Guyane au sein de la République.. L’arrivée d’une nouvelle majorité à la CTG en 2021, résolument engagée en faveur d’une évolution statutaire, permet d’envisager que cette réforme puisse être adoptée au cours de ce mandat.
Comme le montre l’exemple de la Nouvelle-Calédonie, une évolution statutaire ouvrirait de nombreuses perspectives pour la Guyane. C’est en effet grâce à une telle évolution qu’il a été possible, dans l’une des trois provinces de la Nouvelle-Calédonie, de reconnaître des droits à des éléments naturels par le biais de l’écriture du code de l’environnement des Iles Loyautés en 2016.
4. Les droits du Maroni au coeur des politiques territoriales
Les collectivités territoriales de Guyane, des communes à la CTG, pourraient reconnaître des droits au Maroni et faire du respect de ceux-ci un principe directeur de l’action publique. Ce nouveau principe pourrait notamment influer sur les plans d’aménagement territorial, comme les plans locaux d’urbanisme (PLU) à l’échelle communale ou le schéma d’aménagement régional (SAR) adopté par la CTG.
Les collectivités territoriales pourraient également s’associer afin de créer un établissement public de coopération environnementale (EPCE). Personne morale de droit public, cet établissement pourrait permettre d'accroître la coopération entre acteurs publics (CTG, communes, PAG, ARS, Office de l’eau, etc.) sur les problématiques liées à la santé du fleuve et de ses habitants, et pourrait défendre ces derniers en justice le cas échéant.
5. Les droits du Maroni dans la politique de l’eau
En Guyane, la gestion des cours d’eau est planifiée grâce à un Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) qui s’applique à l’ensemble des fleuves et des rivières guyanaises. L’inclusion d’une reconnaissance des droits du Maroni dans ce document majeur permettrait ainsi de placer cet enjeu au cœur de la politique de l’eau.
6. La déclaration des droits du Maroni par la société civile
De nombreuses communautés locales de part le monde ont reconnu des droits aux écosystèmes au sein desquels elles vivent. Les Peuples riverains du fleuve Maroni pourrait s’inspirer de ces exemples et proclamer leur propre déclaration des droits du Maroni. Les associations de défense de l’environnement ainsi que l’ensemble des institutions de Guyane pourraient par ailleurs être associées à une telle démarche, afin de toucher un public le plus large possible et de former un consensus.
Si une telle déclaration ne serait pas contraignante, elle permettrait néanmoins de montrer la voie aux décideurs politiques et de fédérer de nombreux acteurs, qui pourraient par la suite s’associer au sein d’une Conseil des Gardiens du Maroni.
Prochaine étape : Durant le Congrès mondial de la nature organisé par l'Union internationale de la conservation de la nature (UICN) à Marseille au mois de septembre 2021, Wild Legal a présenté la version complète des propositions du Livre blanc pour les droits des fleuves et des peuples de Guyane à la délégation guyanaise présente pour l'occasion, M. Jean Paul Fereira, 1er Vice-président de la Collectivité Territoriale de Guyane et son collaborateur, M. Frédéric Blanchard, Alexandre Sommer de l'association ONAG, Aimawale Opoya, chef coutumier de Taluen.
En partenariat avec le Réseau européen de l'Alliance mondiale pour les droits de la nature (GARN Europe) s'est tenu, le samedi 4 septembre, l’événement « Des glaciers à l'océan. Forum pour les droits des écosystèmes aquatiques européens. » Ce forum, visionnable intégralement sur la page facebook de Wild Legal, fut l’occasion d’entendre les jugements rendus par le Tribunal des droits des écosystèmes aquatiques dans 5 affaires emblématiques, dont celle de l’orpaillage illégal et de la pollution mercurielle en Guyane. A cette occasion, nous avons présenté une proposition visant à la reconnaissance des droits des écosystèmes aquatiques en Europe et dans les Etats membres pour une meilleure protection du cycle de l’eau et des entités humaines et non humaines qui en dépendent.
[1] Commission d’enquête parlementaire sur la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane, Rapport d’enquête, 21 juillet 2021, pp. 11-12
[2] CNCDH, 23 février 2017, La place des Peuples autochtones dans les territoires ultramarins français, page 73.
[3] Commission d’enquête parlementaire, op. cit., pp. 32-46
[4] Voir l’intégralité des plaidoiries sur : https://youtu.be/3BvQU5SpUlk
[5] LEROUGE Isabel, “La commission d’enquête sur la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane rend sa copie aujourd'hui”, Guyane 1ère, 21 juillet 2021
Publié le 26/11/2021 09:38
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