Mannequin à l’origine, Nathalie est une femme passionnée par la nature et la découverte de la biodiversité terrestre et marine. Elle décide de s’engager comme capitaine de bord et fonde en 2011 l’association Expé2M, afin de réaliser des expéditions qui explorent et questionnent notre relation à la nature.
Elle va réunir très rapidement autour d’elle d’autres femmes engagées pour la cause.
Madame Ille, nous vous remercions d’avoir accepté de répondre à nos questions. Il est peu de dire que vous avez une réelle passion pour la mer et qu’à ce titre, vous êtes également une citoyenne très attentive à l’environnement, et depuis de nombreuses années, vous mettez cet amour au service de « Women for Sea », l’association que vous avez fondée et que vous dirigez. Ce qui m’amène naturellement à ma première question :
- Pouvez-vous nous présenter « Women for Sea » ? Comment cette initiative est-elle née et quels sont ses objectifs ?
Après avoir réalisé plusieurs navigations, j’ai eu envie de témoigner de l’importance de la mer, autant pour notre bien être que comme berceau incroyable de biodiversité et de découvertes, de faire comprendre son caractère essentiel dans notre histoire mais aussi pour notre avenir. J’ai alors fondé mon association qui s’appelle Women For Sea, qui est aujourd’hui portée par des femmes engagées pour la préservation des écosystèmes marins et côtiers. Les objectifs sont de développer des actions et des outils permettant à chacun et chacune de remettre en question son rapport à la mer, sa façon de l’aborder ou de l’expérimenter.
- Parlez-nous de votre équipe. Uniquement des femmes si j’ai bien compris. Pouvons-nous en connaitre la raison ?
Je viens du monde du nautisme, un monde encore très masculin, dans lequel il est encore difficile pour une femme de trouver sa place. J’ai travaillé pour des expéditions connues et j’ai senti qu’on ne me laissait pas avoir la place que je méritais malgré mon diplôme de marin. J’ai alors décidé de monter ma propre expédition et de m’entourer d’autres femmes, de secteurs différents. L’équipe est aujourd’hui toujours pluridisciplinaire, nous avons réussi à créer un écosystème de femmes qui œuvrent pour la mer, qu’elles soient scientifiques, artistes ou issues du monde de la communication environnementale. Cela nous permet d’avoir une vue d’ensemble des enjeux de protection de la mer.
- Sur un plan plus personnel, comment passe-t-on du métier du mannequinat (que vous mettez souvent en avant d’ailleurs) à celui de défenseur des océans ? Cette première aventure vous a-t-elle servie pour la deuxième ?
« Avant je vendais du vent, et aujourd’hui j’utilise le vent pour avancer ». J’aime employer cette expression pour faire le lien entre mon ancien métier et le nouveau. Les femmes de l’association disent aussi que je suis passée de « porte-manteaux à porte-voix ». J’ai pu réaliser des partenariats avec des marques de bateaux et de vêtements en leur proposant des images contre une navigation. Lors de ma première expédition, les marques et magasines nous ont suivi, et un de nos articles a été publié dans 15 journaux à travers le monde.
- Vous construisez des « odyssées ». En quoi cela consiste-t-il au juste ?
J’utilise le terme « Odyssée » pour son aspect poétique car nous avons une approche sensible et artistique pour toucher notre public. Les expéditions sont construites de manière pluridisciplinaire avec aussi bien des chercheurs en sciences naturelles, humaines et sociologiques que des artistes (photographe, dessinateurs, caméramans). Ces odyssées répondent à notre slogan « FEEL, LEARN, ACT » où FEEL vise à toucher et sensibiliser, LEARN à connaître et faire connaître les enjeux, et ACT à mobiliser et agir pour la protection de la mer et du littoral.
- Si nous portons un regard général sur l’état des océans à travers le globe, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je pense que l’on fonctionne à l’envers. J’aimerai emmener tout le monde, notamment les dirigeants et patrons de grosses entreprises, en mer afin que chacun puisse se rendre compte de l’état dans lequel nous la laissons. Cela fait des années, et nous continuons aujourd’hui, que l’Homme essaie de gérer la nature et de la façonner à son image. Or, l’être humain doit s’adapter à la nature si l’on veut subsister, car peu importe ce qui nous arrive, la nature reprendra toujours ses droits. Si l’on est attentif, on peut voir que de plus en plus de marins montent des expéditions afin d’alerter sur l’état de nos océans et de l’urgence à laquelle nous faisons face.
- Nous écrivons régulièrement dans ce journal des articles sur telle ou telle nouvelle pollution, ou énième agression faite à la biodiversité marine dans le monde, l’experte que vous êtes, pense-t-elle que nous sommes impuissants face à cela ou qu’il est possible d’agir ? Et si oui, comment ?
Je pense que la nature est plus résiliente que nous et qu’elle peut nous surprendre. Je pense aussi que la situation est catastrophique mais que l’être humain possède toute l’intelligence et les capacités pour trouver les solutions. Le problème est qu’il faut bousculer notre confort et nos habitudes pour que le changement se mette en place. Sommes-nous prêts à le faire ?
- Selon vous, quelles sont les sources principales de pollution des océans ?
Les sources principales de pollution des océans sont engendrées par l’Homme. On nous parle énormément de la pollution qui se voit comme la pollution aux plastiques, qui est aujourd’hui un fléau pour les animaux. Mais on ne parle pas assez de la pollution que l’on ne voit pas, celle liée aux déchets nucléaires, métaux, pesticides ou encore perturbateurs endocriniens. On commence aujourd’hui à étudier ces pollutions, à comprendre qu’elles atteignent les animaux de la mer que nous consommons. Finalement, ce que nous déversons dans la nature nous revient.
- Expliquez-nous pourquoi, selon vous, il est si important de protéger les écosystèmes marins ?
Pour la survie de notre espèce tout simplement. Nous ne sommes pas invincibles, la nature reprendra ses droits si on ne change pas notre mode de vie.
- Pensez-vous que les gouvernements ne légifèrent pas suffisamment en matière de protection des océans ? J’ai, personnellement, le sentiment que les lobbies sont très influents en raison d’enjeux économiques et financiers énormes, et que les gouvernements restent frileux et n’osent pas appliquer les sanctions adéquates aux pollueurs. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que le sujet est très complexe. À l’échelle individuelle ou celle du gouvernement, il y a de nombreuses contradictions et il faut composer avec les convictions, le cadre de vie, les proches et le travail de chacun. Cette complexité se retrouve à l’échelle globale, ce qui fait que la société fait face à des pressions diverses. Le lobbying est présent, bien sûr, mais les gouvernements changeant tous les 5 ans, ils ont seulement une vision à court terme, ne pouvant donc pas anticiper et construire le monde de demain.
- S’agissant de législation, précisément, avez-vous déjà réfléchi à ce qu’il conviendrait de faire pour lutter efficacement pour la protection de nos océans ?
Je pense que dans un premier temps, il faudrait s’attaquer au problème du plastique, mettre des taxes auprès des industriels sur le plastique et revoir entièrement la chaîne de consommation. La surconsommation est aujourd’hui un fléau et il faudrait arriver à mettre en place le modèle du raisonnable. Ensuite, il serait utile de taxer les sociétés sur leur consommation de carbone, notamment celles dont les employés prennent plusieurs fois l’avion pour se déplacer. Il faudrait aussi valoriser les services écosystémiques rendus par la mer et le poids économique que la mer représente. L’État a récemment été attaqué en justice par l’Affaire du siècle et reconnu coupable d’inaction climatique, en espérant que cela ait un impact sur le droit français.
- Les jeunes générations sont essentielles et portent l’espoir d’un respect accru pour les océans. Avez-vous des programmes pour ces jeunes générations afin de les sensibiliser et de leur inculquer le lien à l’environnement ?
Il existe de nombreux programmes tels que le Programme Européen Youth For Ocean qui permet de valoriser les initiatives des jeunes et de porter leurs voix auprès de l’Europe. Sur internet, on trouve de nombreux appels à projet pour les jeunes de moins de 30 ans et pour les plus jeunes, des programmes pédagogiques sur des plateformes telles que TARA Océan ou Surf Rider Foundation. L’association Women For Sea part à la rencontre des jeunes dans le cadre scolaire en présentiel pour le programme des Aires Marines Protégées éducatives, auquel les instituteurs et institutrices peuvent adhérer lorsqu’ils sont au bord de la mer.
- Vous employez le terme : « repenser sa pratique de la mer », pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là et en quoi ça consiste ?
« Repenser sa pratique de la mer » signifie pour moi qu’il faut adopter une posture respectueuse lorsque l’on navigue ou que l’on se rend simplement à la mer. Il est important de repositionner la mer, de lui rendre sa place et de la respecter. Dans nos anciennes civilisations, la mer était sacrée. C’est important aujourd’hui de lui rendre ce respect et nous devons nous adapter à elle car finalement, c’est elle qui décide.
- Vous dites, je vous cite : « La Méditerranée, ce n’est pas une mer, c’est notre héritage, notre souffle vital et notre richesse. » On comprend qu’elle occupe une place prépondérante dans votre cœur. Pourquoi ? Vous avez dû parcourir tous les océans, que possède la Méditerranée de si particulier ?
C’est justement en voyageant sur d’autres océans que j’ai pris conscience de la richesse de la Méditerranée. C’est une mer qui a façonnée notre culture, qui a mélangé les peuples, c’est une mer complexe à naviguer, et enfin une mer dont les cotes sont si variées si riches …
- En 2019, une ile de plastique composée de 1 milliard de tonne de déchets a été découverte au large de la Corse selon le site Conservation Nature et dans un de nos articles, nous avons comparé la Méditerranée à une poubelle de plastique. Nous avons exagéré ou vous confirmez ?
Oui et non. Je ne pense pas que ce soit en la qualifiant de poubelle que ses citoyens la respecteront plus. Je crois qu’il faut rependre l’amour et le respect de cette mer à chacun pour donner envie d’y faire attention.
- Partout dans le monde, des écosystèmes marins entiers sont menacés par l’activité de l’homme. L’IUCN ne cesse de rallonger la liste des espèces en grands dangers, voire en voie de disparition. Quel regard portez-vous sur cette triste réalité ?
Je ne regarde que peu les choses qui m’attristent car la tristesse ou le désespoir ne sont pas des moteurs qui portent pour entreprendre et avancer !
- Par exemple, nous avons appris il y a quelques jours que la grande barrière de corail ne bénéficiera pas de la protection optimale qui s’impose en raison, certainement, de pressions exercées sur le gouvernement australien. Je vais vous demander un avis personnel concernant ce site extraordinaire et précieux. Combien de temps avons-nous encore devant nous avant qu’il ne soit trop tard ? Si tant est que ce ne soit pas déjà le cas.
Selon beaucoup de scientifiques, c’est trop tard. Je n’ai pas envie de m’asseoir et attendre, je pense qu’il y a divers scénarios et que l’on peut encore faire quelque chose.
- D’une façon plus générale cette fois-ci, comment envisagez-vous l’avenir ? Êtes-vous optimiste ou pessimiste ? Pensez-vous que nous cédons au catastrophisme ambiant ou qu’au contraire, nous ne prenons pas l’exacte mesure de la réalité ?
Je pense que la crise du covid pourrait être une opportunité de changer de paradigme…L’avenir le dira !
- Travaillez-vous en collaboration avec d’autres ONG ?
Bien sur, de nombreuses, des scientifiques, des gestionnaires ….
- Etes-vous parfois consultée par les constructeurs de bateaux de plaisance qui souhaitent votre expertise pour améliorer leur fabrication ? Avez-vous un exemple ?
Ce sont plutôt les institutionnels qui nous consultent sur notre expertise nautique, les constructeurs ont des bureaux d’études spécialisés, nous agissons plutôt sur leurs connaissances des enjeux du milieu marin.
- Avant de nous quitter, pouvez-vous nous parler de votre actualité ? Quels sont vos projets ? Pouvons-nous en savoir un peu plus ?
Nous agissons sur 3 volets : l’éco-plaisance, la valorisation de femmes engagées pour la mer, et enfin nous montons une série d’Odyssées qui débuteront en 2022 sur les patrimoines immatériels des îles de Méditerranée.
Nous voila déjà au terme de notre entretien. Il ne me reste plus qu’à vous remercier pour le temps que vous nous avez accordé et d’avoir donné l’occasion à nos lecteurs de profiter de votre expérience. J’espère que nous aurons su leur donner envie d’en savoir davantage sur vos initiatives. Pour cela, ils trouveront le lien vers votre site en début de notre discussion.
Publié le 01/11/2021 08:00
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